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La Bijoutisse
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3 avril 2009

Histoire vraie : devant la glace

Maman m'avait dit qu'il s'appelait Michel et que c'était mon cousin.

- "C'est quoi un cousin ?"
- "Tu vois tata Germaine, elle a un fils. Il s'appelle Jacques. Jacques est ton cousin."
- "Et Serge, c'est mon cousin aussi ?"
- "Non, c'est ton frère, tu le sais bien. Et tu es sa soeur !"
- "Et pourquoi Serge c'est mon frère ?"
- "Parce que tous les deux vous avez le même papa et la même maman. Serge est né le premier : c'est ton frère aîné. Toi, tu es née trois ans plus tard."

Elle venait de prononcer des paroles irréparables : l'idée d'être restée enfermée trois ans dans le ventre de ma mère avant de pouvoir sortir me semblait constituer une abominable injustice.

- "Pourquoi ce n'était pas moi la première ?"
- "C'est la nature qui a décidé ma chérie !"

Parce que je détestais ce chérie-là, j'avais entrepris de demander à ma grand-mère, qui habitait la maison d'à côté, un complément d'information moins expéditif.

Elle était affairée devant sa cuisinière, préparant quelque plat en sauce dont l'odeur envahissait la cuisine avec ferveur.

Comme d'habitude, dès mon arrivée, elle avait cessé ses activités, s'était assise sur le petit tabouret en formica vert clair qui somnolait sous la table, m'avait hissée sur ses genoux et remis de l'ordre dans les rubans qui retenaient mes boucles blondes.

- "C'est quoi la nature mémée ?"
- "Et bien ce sont les arbres, les fleurs, ce qui pousse dans la terre..."
- "C'est à cause d'eux que je suis restée enfermée dans le ventre de maman ?"
- "Mais qu'est-ce que tu racontes ? Allez va jouer ! Nous en reparlerons une autre fois !"

J'allais bouder dans sa chambre. C'était une pièce calme et accueillante. Le mobilier datait d'avant-guerre. Un artiste inconnu y avait sculpté des roses.

Cette pièce avait une odeur particulière dont je me souviens, aujourd'hui encore, avec nostalgie : celle des coings que ma grand-mère disposait à la fin de l'été au-dessus de l'armoire pour les faire sécher en compagnie d'un énorme bouquet de lavande dont on retrouvait régulièrement des éclats de fleurs sur le tapis.

Mémée, Georgette de son petit nom, m'avait depuis longtemps autorisée à sortir de leurs cartons, entassés dans le bas de l'armoire, à la seule condition que je les range après usage, chapeaux, voilettes et fleurs d'ornement en tissu qui défilaient un à un sur ma tête, assise sur le tapis devant la glace de l'armoire, le dos appuyé aux parois du lit.

J'étais ainsi tour à tour, des heures entières, marchande, maîtresse d'école, vendeuse, maman coiffant, décoiffant, chapeautant des enfants silencieux en plastique sortis d'un petit coffre en bois, fabriqué par mon grand-père, où s'entassaient, pêle-mêle, des jouets achetés pour colorier mon enfance.

Georgette interrompait mes bavardages pour déposer ses baisers sur mon front ou mes cheveux, s'informer sur la sagesse de mes poupons ou me faire goûter sa sauce qui ronronnait déjà à gros bouillons, avant de me combler de joie en m'invitant à souper.

Aujourd'hui, je ne joue plus à la poupée devant la glace. Grand-mère a cessé pour toujours d'ajuster ses chapeaux et je ne l'ai plus jamais revue ordonner sa voilette en agitant ses jolis bras blancs, d'un geste aérien, aussi léger qu'un bruissement d'aile.

Mais il m'arrive très souvent, passant devant d'autres miroirs, dans d'autres maisons lointaines, de croiser, au détour de mes regards, le bleu si particulier de ses yeux et de surprendre, d'une commissure à l'autre de mes lèvres, tous les sourires d'amour qu'elle me tend encore, dont nous gardons toutes les deux à jamais le singulier secret.

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Commentaires
C
Nostalgie et tendresse. Ma grand-mère ressemble à la tienne... et je l'aime d'amour. Ta petite histoire me rappelle l'enfance...
N
magnifique et émouvant, merci de nous avoir fait partager tes souvenirs. Gros bisous
A
En effet, c'est une belle histoire, contée sur le ton de la confidence et de la nostalgie.Nostalgie d'un temps à jamais révolu, un temps qui n'existe plus puisque Mamie Georgette s'en est allée et que toi, tu as grandi. Nostalgie des choses simples et de parfums tout droit sortis de l'enfance, que parfois, au détour d'une rue ou d'une vieille bâtisse, l'on retrouve, fugaces. Merci de partager ainsi ces instants d'un bonheur fané et pourtant chéri. <br /> Plein de bisous, ma Coco<br /> Abélia :)
O
j'ai commencé a lire et je me suis laissée emporter par tes mots. tu te debrouilles aussi bien avec une plume qu'avec une aiguille ! <br /> c'est une bien jolie histoire tres emouvante.<br /> bizous<br /> val
S
Une bien belle histoire, je prend toujours beaucoup de plaisir à te lire , c'est toujours plein de tendresse et d'émotion. Bisous.
La Bijoutisse
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